Thibault Philip

Artiste, designer, chercheur

"  La forme c’est le fond qui remonte à la surface*  "

Publié le 27/10/2025

Thibault Philip est un artiste, designer et chercheur en biomatériaux. Installé à Rennes, il y développe une pratique radicale centrée sur le réemploi de chutes agroalimentaires, notamment issues de la transformation animale.

Né à Paris, il grandit en ville et découvre le monde du vivant au cours de ses vacances en Auvergne et en bord de la mer. Il y développe un intérêt fort pour les animaux, et le monde du vivant, se sentant spectateur d’un monde qui n’est pas le sien.

Il aime cette profusion anarchique, le fait que les organismes se développent avec une esthétique et une liberté singulières, à l’opposé de nos espaces citadins caractérisés par une architecture géométrique et un hyper-contrôle.


Son parcours

Il réalise ses études aux Beaux Arts de Quimper, puis aux Beaux-Arts de Rennes où il sort diplômé en 2021 avec mention du jury.

Il y développe un intérêt pour l’artisanat décalé, et intègre des principes ludiques à sa pratique du design. Cela se traduit par son travail autour de la résine coulée, qu’il développe notamment lors de son Erasmus à Poznan en Pologne en s’inspirant des principes de la série différenciée créée par Gaetano Pesce.

Puis il réalise plusieurs stages notamment chez Marlène Huissoud et Nacho Carbonell. Ces stages l'ouvrent à un design plus libre, plus organique, portant en eux un récit fort.

Le travail de la matière animale

De retour en Bretagne, il s’intéresse aux déchets issus de l’industrie de la viande et des produits issus du porc. Matière sensible, tant plastiquement que socialement, ses déchets permettent d’ouvrir le regard sur une industrie caractérisée par l’hyper-production et une hyper-utilisation invisible de la matière animale dans le quotidien. Outre dans notre assiette, nous retrouvons en effet de la matière animale sous bien d’autres formes comme dans les filtres de cigarette, le vin, le béton**.

Pour se fournir en matière première, il a noué un partenariat avec l’entreprise familiale bretonne GBB spécialisée dans le travail des boyaux.

Le travail de cette matière lui permet de redessiner un certain lien entre l’humain et l’animal, entre l’exploitant et l’élevage. Il permet de renouer avec des pratiques artisanales telles que celle des inuits qui transforment l’intégralité des animaux tués. Les intestins des animaux marins deviennent ainsi des cordages pour des bateaux ou des instruments de musique.

Outre son importance narrative, le travail de cette matière présente aussi l’avantage de ne nécessiter aucun intrant pétrochimique. Les liaisons peptidiques agissent en effet comme une colle, et le caractère organique de la matière lui permet d’être teintée avec des colorants naturels, sans usage d’un mordant. 

PHILIP_LOUVANES_Basic Instinct Making With ©Ruud_Balk

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Un design singulier

Lorsque Thibault récupère les intestins à la boyauderie, ceux-ci sont déjà lavés et placés dans des solutions de saumure ou de sel afin de les conserver. Il les travaille ensuite avec des techniques spécifiques, inspirées de la fabrication traditionnelle de fil, de papier ou du moulage. Il décrit son travail comme une co-construction de l’objet avec la matière première.

Il les travaille à la fois en fils et en plaques, pour obtenir une série de luminaires composés d’un matériau unique et bio-soudé. Loin d’être répugnante, la matière, une fois travaillée, s’apparente à un papier Washi, dont les veinages dessinent les motifs. Placée à la lumière, celle-ci révèle ses dessins singuliers et permet d’appuyer son essence biologique et l’esthétique si caractéristique du vivant.

Concernant le processus de fabrication, l’atelier de Thibault diffère peu de celui d’un designer travaillant des matières « classiques ». En effet, le travail des boyaux nécessite des besoins en eau, mais la présence d’un frigo par exemple est loin d’être obligatoire. Contrairement à ce qu’on pourrait penser également, son atelier ne dégage pas non plus d’odeur particulière, la matière perdant toute odeur après rinçage.

Ces lampes habillent notamment le siège de Traé, au Danemark, dessiné par l’agence d’architecture Lendager.

©Lendager

Autres projets

En parallèle de ses projets design, Thibault Philip développe également des projets plus artistiques. Il a notamment réalisé un costume de scène pour la drag Queen Gorki Gore. Jouant sur la connotation “étrange” de la matière première, il a développé une matière très fine à l’aspect vaporeux qui contraste avec la gestuelle plutôt brusque de la drag Queen. Sa performance est marquée par le bruissement de la matière, accentuant son côté vivant.

Thibault Philip a également conçu un service à alcool nommé « Viscère » qui a été réalisé par l’artisan verrier Stéphane Rivoal. Les pièces ont été soufflées dans des moules en plâtres, réalisés à partir d’organes de bovins moulés. Le service à alcool, objet de représentation sociale, est ici témoin et porte-parole d’une matière qui pourrait être perçue comme rebutante, et chargée politiquement.

Enfin, pour son exposition solo à la galerie Quinconce, intitulée « Once upon a time : a sleep, a view, a whisper », il a revisité le conte des trois petits cochons. Il a présenté des œuvres symbolisant chacune des trois maisons évoquées dans le conte. À chaque fois il a couplé la matière boyaux avec les matières évoquées dans le conte : la paille, le bois et la brique. Outre la relecture du conte, et la mise en abîme proposée par la matière, ce projet fût également l’occasion de pousser toujours plus loin ses expérimentations techniques. Ainsi, pour la pièce View, il a augmenté la transparence des intestins grâce à de l’huile de lin, revisitant ainsi un procédé artisanal traditionnel.


Et la suite ?

Lauréat de la Bourse art en entreprise, Thibault poursuit ses recherches en matériaux avec la boyauderie GGB. L’objet est cette fois-ci de développer un travail de la plaque et de la brique, afin de générer un nouveau langage artistique et de nouvelles utilisations de la matière.

Il participe également à des expositions notamment “Basic Instinct” qui a ouvert récemment à la Kazerne à Eindhoven aux Pays-Bas* pour une durée de 6 mois ; ainsi qu’à l’exposition organisée par Superflux qui se tiendra à l’été 2026. 

Enfin, il continue de diffuser sa pratique en encadrant son premier workshop sur les bioplastiques à l’école des Beaux-Arts de Rennes. 

*citation de Victor Hugo

**voir le livre Pig 05049 de Christien Meindertsma

https://www.thibaultphilip.com/

https://www.instagram.com/thibault.philip/