Manon Ménard

Designer graphique et docteure en design

J’aborde la pratique du design participatif, tout en veillant à minimiser l’instrumentalisation des personnes qui participent.”

Son parcours : 

Attirée par le dessin et la pratique plastique en 2D, Manon Ménard se passionne pour le design graphique dès son bac en arts appliqués. Elle décide de poursuivre dans cette voie, et opte alors pour un BTS design graphique avec une spécialisation en médias imprimés. Sa première expérience de stage dans une entreprise de design graphique textile pour enfants, qui confirme son intérêt pour ce domaine, ne laisse en rien présager la suite de son parcours vers la recherche et le design engagé.

C’est lors de son DSAA en design graphique à Marseille que Manon découvre la richesse des champs d’application du design. Elle explore notamment le design dans le monde culturel, tel que l'amplification d'œuvres avec le numérique, ainsi que le design pédagogique. Son travail de mémoire se concentre d'ailleurs sur ce dernier sujet. Elle étudie les enjeux pédagogiques du design graphique et comment ces derniers peuvent aider l’apprentissage des mathématiques. Parallèlement, elle conçoit un projet de design graphique sur le même thème, qu'elle teste dans une école primaire.

Enthousiasmée par ce travail de mémoire et désireuse de continuer à explorer cette voie, elle décide de rejoindre le Master transdisciplinaire Culture et Territoire. Ses enseignants l'encouragent à élargir son sujet, et elle choisit alors d'approfondir le champ du design pédagogique en se penchant davantage sur les enjeux socioculturels associés.

Les ateliers : 

Les ateliers de design auprès d’enfants ont été un élément clé dans le parcours de Manon.
En parallèle de son master, elle a été sélectionnée pour participer à l'appel à résidence “Création en cours” des Ateliers Médicis. Ce programme, mettant l'accent sur l'apprentissage et la transmission, lui a offert une opportunité unique :

Pendant une résidence de six mois à l’école primaire des Vallons en Aveyron, elle a travaillé en collaboration avec les élèves et les enseignant.e.s pour appréhender graphiquement le patrimoine local et sa géographie. Cette initiative a donné lieu à une série d'ateliers de recherche et de création, comprenant notamment des cartographies sensibles, des croquis d’observation de la ville et des visites culturelles. Les résultats finaux de cette résidence ont pris diverses formes, allant d'une cartographie interactive (tant physique que numérique) à un alphabet graphique, en passant par des affiches et des posters. Pour Manon, ces ateliers ont été des terrains d'exploration et d’expérimentation précieux pour son travail de mémoire.

Cette expérience d'animation d'ateliers s'est avérée particulièrement enrichissante pour la designer. Peu de temps après, lors de son année de césure en Amérique latine, elle a eu l'opportunité de conduire des ateliers en Colombie et au Pérou, dans des contextes culturels très variés. Cette diversité lui a permis d'élargir ses horizons professionnels et de nourrir ses réflexions.

De retour de voyage, convaincue de vouloir poursuivre ce travail de recherche, une belle opportunité s'est présentée à elle…


Le démarrage de sa thèse :

C’est par l'initiative de son ancien enseignant de Master, Brice Genre, que Manon rencontre Michela Denis, professeure des universités au laboratoire de design Projekt. C’est sous la direction de Michela Denis et du chercheur Anthony Masure, qu'elle se lance dans l'aventure de la thèse, une thèse financée dans le cadre du programme  “Atypie Friendly”. Le projet consiste à réaliser une thèse en design sur l'inclusion, la pédagogie et le handicap.

Enthousiasmée à l’idée de poursuivre son travail d'investigation sur le design et la pédagogie, elle saute sur l’occasion et démarre l’aventure très rapidement. 

Les challenges de la thèse :

L’expérience de la thèse n’a pas été de tout repos pour la designer. Elle s'est retrouvée catapulté dans le milieu de la recherche sur le handicap et l'autisme, un milieu caractérisé par de nombreuses controverses et des points de vue divergents sur les enjeux scientifiques et historiques du sujet. Mais le plus difficile pour Manon a été de trouver sa place en tant que designer.

“Je me suis même demandé si j’étais toujours designer par moments, car oui je menais des recherches et des entretiens, mais les anthropologues et les sociologues font ça aussi. Parfois, cela a été de véritables crises existentielles…”

Trouver le bon angle pour traiter le sujet a été très compliqué. Après ses premiers entretiens avec des étudiant·es autistes, elle se demandait même si elle était la bonne personne pour traiter le sujet, si le design était une réponse appropriée.

Elle partage également que cette aventure de thèse a été une réelle opportunité pour questionner les biais de perception des designers concernant les utilisateur·rices handicapé·es. Manon a pris conscience des biais de représentation et de comment ceux-ci peuvent influencer la prise en compte de la parole des personnes autistes. Les étudiants lui ont fait part, lors de divers entretiens, du sentiment que leurs paroles n'étaient pas prises en compte, même lorsqu'ils et elles étaient impliqué.e.s dans des démarches participatives.

“Avec les retours d’expériences des étudiant·es, j'avais l'impression que nous étions dans une impasse. Car si nous ne sommes pas capables de prendre en compte leurs retours ou critiques, et que nous ne les lisons qu'à travers le prisme du diagnostic et non depuis  leur récit de vie, à quoi cela sert-il de travailler avec les personnes concernées?”

Ainsi, les risques d’instrumentalisation des ateliers participatifs ont représenté un véritable frein dans la mise en place d'ateliers dans la thèse de Manon. Cependant, elle a décidé de les aborder de front en prenant les enjeux des biais de représentation, comme thématique centrale de ses ateliers.

Son projet de thèse :

La motivation principale derrière le projet d’atelier pour la thèse de Manon était de créer un espace de travail collectif pour les personnes concernées, afin d'explorer la représentation de l'autisme et l'impact du diagnostic sur leur expérience de vie.

Les ateliers “Je suis autiste et...” :

Ces ateliers visaient à aborder la représentation de l'autisme des personnes non autistes, notamment les universitaires. Pour cet atelier, Manon a recueilli des verbatim auprès des universitaires en leur demandant de compléter la phrase “Selon moi l’autisme, c’est…”. Ensuite, lors des ateliers, elle a invité les étudiants autistes à réagir graphiquement à ces phrases. Par le biais de duos d'étudiant·es, ces phrases ont été réappropriées, annotées, ajustées en fonction de leurs propres récits de vie, donnant ainsi naissance à une première archive graphique.

Cette expérience a été très inspirante pour Manon, qui a souhaité poursuivre ce travail et médiatiser les productions graphiques réalisées. Cependant, elle ne se sentait pas à l'aise pour poursuivre seule le projet en tant que personne non concernée.

“Dans la littérature concernant les mouvements de lutte pour les droits des personnes handicapées, il y a ce slogan “rien pour nous sans nous” (Nothing About Us Without Us). En tant que personne non concernée, je n’étais pas à l’aise avec l'idée de continuer le projet seule.”

Dès le début des premiers ateliers, Manon rencontre Charlotte Dewarumez-Minot, une doctorante à l'université de Toulouse et militante autiste. Charlotte a été enthousiasmée par l'approche sensible des ateliers et a rejoint Manon pour développer ce projet. Elles ont également été soutenues par l'association interuniversitaire toulousaine “La Bulle” (une association par et pour les étudiant·es autistes) avec qui elles ont travaillé en partenariat.

Elles ont rapidement poursuivi le projet à travers différentes actions, notamment des campagnes d’affichage sauvages sur les campus universitaires de Toulouse, accompagnées d'ateliers mobiles pour favoriser le dialogue et la médiation. Cette initiative significative a permis à Manon de maintenir une présence sur le terrain en parallèle des dernières étapes de rédaction de sa thèse. Ainsi elle soutiendra avec brio sa thèse en juin 2023.

Sa perception du design 

Pendant sa thèse, Manon a découvert des approches du design passionnants, telles que celles qui prennent appui sur les “pédagogies critiques”, notamment à travers les écrits du pédagogue brésilien Paolo Freire et de la militante féministe bell hooks. Elle a pris conscience de combien le design pouvait jouer un rôle dans les systèmes d’oppression et a compris qu'il était essentiel de le repolitiser pour en faire une potentielle pratique émancipatrice.

Ainsi, elle prône une approche décoloniale et féministe, anti-validiste, du design, tout en reconnaissant les défis pratiques que cela peut engendrer. Elle se réjouit de pouvoir transmettre ces idées aux étudiant·es de la licence Design, Prospective et Société de Toulouse, à travers un cours sur les enjeux de justice sociale dans le design.

Après la thèse : 

Aujourd'hui, Manon occupe un poste d'enseignante vacataire  en design à l’université de Toulouse — Jean Jaurès, tout en continuant à s'investir dans le monde de la recherche en rédigeant des articles et en participant à des conférences.

Pour le projet “Je suis autiste et…”, toujours en binôme avec Charlotte Dewarumez-Minot, elle continue de le faire vivre et évoluer. Elles ont mis en place une plateforme numérique dédiée au projet. De plus, elles ont créé plusieurs partenariats avec des associations et des universités, et ont notamment participé à une table ronde et élaboré un poster pour le projet “L’école du non savoir” de Civic City (projet sur les savoirs des populations invisibilisées ou illégitimées). 

En parallèle, elles envisagent d'aller plus loin en travaillant sur les représentations de l'autisme dans les médias et la culture, d'interroger les impacts de ces représentations. Elles souhaitent également explorer la culture visuelle associée à l'autisme, qui varie significativement selon les milieux, par exemple dans les médias et les milieux militants.

Idéalement, Manon aspire à obtenir un poste d'enseignante-chercheuse à plein temps, lui permettant ainsi de poursuivre ses recherches par la pratique, une activité qu'elle affectionne particulièrement.

Pour suivre l’actualités de Manon et de ces projets rendez-vous ici :

https://www.jesuisautisteet.com/

http://www.manonmenard.com/index.html